La psychologue, professeure, chercheuse et titulaire d’un master en développement humain et éducation, Carolina Robledo Castro, nous offre dans cet article une brève approche de l’histoire du TDAH et de son impact sur le fonctionnement exécutif des personnes qui en sont atteintes.
Qu’est-ce que le TDAH
Actuellement, trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH), est le terme cliniquement validé pour désigner un trouble du neurodéveloppement caractérisé par des comportements d’inattention, d’impulsivité et d’hyperactivité (APA, 2013). Cependant, ce concept reste un construit psychologique en évolution, qui a traversé différentes conceptions et approches au fil des décennies et qui continuera probablement d’évoluer.
Évolution clinique du TDAH
Alexander Crichton
Les premières approches cliniques de ce que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de TDAH remontent au XVIIe siècle, lorsque le médecin Alexander Crichton, sur la base de différentes observations cliniques, publia un ouvrage intitulé « De l’attention et de ses maladies » (On Attention and its Diseases) dans lequel il décrivit un tableau caractérisé par une incapacité à maintenir une attention soutenue sur tout objet, accompagnée d’une agitation motrice constante qu’il appela agitation mentale (Mental Restlessness), ressemblant à la description actuelle du TDAH (Lange, 2010).
Heinrich Hoffmann
Une allusion aux manifestations du TDAH a également été identifiée dans les écrits du médecin Heinrich Hoffmann en 1844. Hoffmann écrivit une série d’histoires illustrées décrivant le comportement impulsif et inattentif d’un enfant appelé « Phil l’agité » (Struwwelpeter), histoires basées sur l’observation de son propre fils (Filomeno, 2007). Bien que l’approche de Hoffmann ne soit pas clinique, l’histoire de Phil l’agité est souvent utilisée comme une allégorie du TDAH (Lange, 2010).
George Frederic Still
Dans le domaine de la pédiatrie, l’un des premiers à aborder cliniquement cette condition fut George Frederic Still, qui, en 1902, décrivit un schéma comportemental chez des enfants présentant des signes d’inattention et semblant manquer de contrôle sur leur comportement.
Initialement, Still attribua ce comportement à un défaut de contrôle moral, mais il l’associa ensuite à une possible maladie neurologique ou héréditaire (Robledo, 2017; Filomeno, 2007). Plus tard, ce tableau d’inattention et d’impulsivité fut lié à l’encéphalite léthargique pendant l’épidémie qui s’étendit entre 1917 et 1928, car les personnes affectées présentaient des altérations cognitives et comportementales similaires:
- changements significatifs dans la personnalité,
- instabilité émotionnelle,
- déficits cognitifs,
- difficultés d’apprentissage,
- manque de contrôle moteur.
Ce tableau fut nommé « lésion cérébrale mineure », terme qui resta en usage jusqu’aux années 1970, où il fut remplacé par « dysfonction cérébrale mineure » (Lange, 2010).
Le TDAH dans les années 1930 à 1960
Entre les années 1930 et 1950, la communauté médicale accorde une importance particulière aux symptômes d’impulsivité et d’hyperactivité au détriment des manifestations cognitives, et le terme est modifié pour désigner le syndrome hyperkinétique, une activité motrice remarquable qui rend les enfants incapables de rester assis une seconde.
L’influence des perspectives comportementales dans les années 1960, a notamment initié les travaux d’auteurs tels que Stella Chess et a commencé à être désigné comme le syndrome de l’enfant hyperactif (Robledo, 2017).
Enfin, en 1968, ce trouble est inclus pour la première fois dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, DSM II, (APA, 1968) sous le nom de réaction hyperkinétique.
Le TDAH dans les années 1970-1990
Les difficultés d’attention soutenue et le manque de contrôle des impulsions ont été de nouveau reconnus dans les années 1970 grâce aux travaux de Virginia Douglas (Douglas, 1972). Dans les années 1980, le Manuel de diagnostic des troubles mentaux, dans sa troisième version, a établi que l’hyperactivité n’était pas un critère de diagnostic différentiel pour le trouble. Il a donc inventé le terme de trouble déficitaire de l’attention (TDA) et indiqué qu’il pouvait se présenter sous deux formes : avec hyperactivité et sans hyperactivité (APA, 1980).
Au début des années 1990, le DSM-IV a inventé le terme de trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité et a élargi la classification de ce trouble en distinguant des sous-types : inattentif, hyperactif-impulsif ou combiné (APA, 1990).
À l’époque, ce trouble était classé dans le groupe des troubles de l’enfance et de l’adolescence, plus précisément dans la classification des troubles de l’attention et du comportement perturbateur.
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Le TDAH des années 1990 à nos jours
Des années 1990 à aujourd’hui, les progrès des neurosciences, de la génétique, de l’imagerie diagnostique et de la modélisation informatique ont été les précurseurs de nouvelles connaissances qui ont élargi la conceptualisation et l’approche du TDAH.
Le manuel de diagnostic le plus récent, le DSM V, a intégré certains changements représentatifs de la manière dont le TDAH est conceptualisé et compris. Si la plupart des critères diagnostiques de la version précédente ont été conservés, le TDAH a été intégré à la division des troubles neurodéveloppementaux, au même titre que d’autres troubles tels que les troubles du spectre autistique. En outre, pour la première fois dans les critères de diagnostic, il est reconnu que ce trouble n’est pas exclusivement infantile, mais qu’il peut se perpétuer à l’adolescence et à l’âge adulte ; dans le même temps, il est différencié en niveaux léger, modéré et sévère (APA, 2013).
Après plus de 40 ans de travail avec des enfants, des adolescents et des adultes présentant ce type de comportement, Russell Barkley (2002) a déclaré : « Je considère désormais le TDAH comme un trouble du développement de la capacité à réguler son propre comportement et à anticiper l’avenir » (p.35).
Barkley, appuyé par les avancées scientifiques de l’époque, conclut que le TDAH provient d’une hypoactivité d’une zone du cerveau qui a pour fonction de fournir davantage de ressources pour l’inhibition comportementale, l’autorégulation, l’auto-organisation et l’anticipation au fur et à mesure que le sujet grandit et que cette zone neurologique mûrit. De plus, cette hypoactivité entraîne un déficit dans la capacité des personnes à réguler leur fonctionnement quotidien, à s’adapter aux exigences de l’environnement et à se préparer à l’avenir.
Dans les années 2000, des découvertes scientifiques ont confirmé des altérations des mécanismes biochimiques dans le cortex préfrontal chez les personnes atteintes de TDAH, notamment au niveau des neurotransmetteurs dopamine et noradrénaline (Nigg 2006, Duda 2011).
La recherche en neuro-imagerie suggère un retard possible de trois ans dans la maturation du cortex préfrontal chez les personnes atteintes de TDAH (Shaw 2007), ainsi qu’une association entre le TDAH et une altération du volume et du niveau d’activation dans les zones préfrontales liées aux fonctions exécutives (Seidman et al., 2005).
Sur la base de ces résultats cliniques et d’autres, des auteurs comme Brown (2002) et Barkley (2011) ont suggéré que le trouble du TDAH n’a pas pour origine principale un déficit de l’attention, mais qu’il est le résultat d’une altération des circuits synaptiques dans certaines zones du cerveau, y compris le néocortex préfrontal, qui jouent un rôle crucial dans la régulation et le contrôle cognitifs. Par conséquent, il a été conclu que les déficits d’organisation et d’autogestion chez les personnes atteintes de TDAH sont liés à une altération des fonctions exécutives (Barkley, 1997 ; 2011).
Quelles sont les fonctions exécutives
Les fonctions exécutives sont des processus cognitifs qui permettent à l’individu d’internaliser des comportements pour anticiper les changements futurs et ainsi maximiser les avantages à long terme (Barceló, 2005; Flores & Ostrosky-Shejet, 2012).
Elles sont des précurseurs de la capacité d’autorégulation réussie (Kalbfleisch, 2017), jouant ainsi un rôle crucial dans l’apprentissage scolaire, le respect des instructions, l’observation des règles et la gestion générale de la vie quotidienne.
Elles interviennent dans la réalisation de tâches orientées vers des objectifs, notamment celles impliquant la révision des options, l’organisation, la planification, le suivi de l’exécution, la prévision des conséquences futures, l’évaluation des performances et l’adaptation aux nouvelles situations (Portellano & García, 2014). En d’autres termes, ces processus cognitifs permettent de planifier, organiser, guider, réviser, régulariser et évaluer le comportement pour atteindre des objectifs.
Fonctions exécutives affectées par le TDAH
Selon Brown (2008), les FE affectées chez les personnes atteintes de TDAH sont les suivantes:
- Activation, nécessaire pour organiser les tâches et les matériaux, estimer le temps, établir les priorités et commencer l’activité;
- Focalisation, pour se concentrer et maintenir l’attention, ainsi que changer de centre d’intérêt;
- Régulation de l’effort, incluant la gestion de l’état d’alerte, la tolérance à la fatigue et la vitesse de traitement;
- Gestion émotionnelle, permettant de gérer la frustration et de contrôler les émotions;
- Mémoire de travail, nécessaire pour retenir des informations entrantes et rappeler des informations stockées afin de mener à bien une tâche;
- Contrôle de l’action, pour surveiller le comportement, apprendre des erreurs et inhiber les réponses automatiques et impulsives.
Activités difficiles à cause du TDAH
Basée sur les résultats de Brown (2008), Beatriz Duda (2011) décrit des activités associées au fonctionnement exécutif qui sont souvent difficiles pour les enfants, adolescents et adultes atteints de TDAH, et les a compilées dans le tableau suivant :
Fonction exécutive (Brown, 2008) | Sous-fonction | Activités difficiles pour les personnes atteintes de TDAH (Duda, 2011) |
Approche : Capacité à concentrer son attention sur ce qui est important, à maintenir et à déplacer son attention sur certaines tâches. | Focusffffffffffffffffffffffgggffggfffffffffffffff | Concentrer son attention sur ce qui est important. Par exemple, faire attention à l’enseignant au lieu de parler à ses camarades de classe. |
Maintenir l’attention | Maintenir son attention pendant toute la durée d’une leçon. Ou alterner l’attention entre deux tâches. | |
Flexibilité | Par exemple, arrêtez de chercher sur Internet et commencez à écrire. | |
Action : Capacité à évaluer son propre comportement, à reconnaître les difficultés, à s’autoréguler, à inhiber les impulsions et les comportements automatiques. | Inhibition | Éviter les comportements automatiques, attendre son tour, retarder les récompenses. Par exemple, s’enfuir à l’heure de la pause. |
Auto contrôle | Gérer efficacement son temps. Reconnaître les erreurs et les succès comme des leçons pour les situations futures. | |
Émotion : Capacité à contrôler et à gérer les états affectifs, à réagir aux circonstances avec le niveau émotionnel approprié. | Gérer la frustration | Garder son calme lorsque les choses ne se passent pas comme il le souhaite. |
Gestion des émotions | Réagir de manière appropriée aux situations. Par exemple, crier ou frapper lorsque quelque chose les dérange. | |
Mémoire de travail : Capacité à retenir dans l’esprit les informations nécessaires pour suivre les actions. | Retenir | Retenir les informations nécessaires pendant l’exécution d’une tâche. Par exemple, lors d’une conversation, ne pas se souvenir de ce dont on parlait, après avoir été interrompu. |
Évoquer | Accès à des informations importantes. Par exemple, étudier pour un test et ne pas s’en souvenir au moment de l’examen. | |
Effort soutenu : Régulation de la vigilance, de l’effort soutenu et de la vitesse de traitement de l’information. | Vitesse de traitement | Effectuer les tâches dans le temps imparti. Par exemple, ils ont besoin de plus de temps que leurs camarades pour accomplir une tâche. |
Maintien de l’effort | Tolérance à la fatigue. Par exemple, leur capacité d’attention est plus courte que celle des autres enfants. | |
Vigilance régulière | Maintenir leur vigilance dans des activités qui ne sont pas motivantes. | |
Activation : Capacité à se mettre au travail, à établir des priorités et à planifier des actions sur la base des objectifs projetés dans le temps. | Activer | Se lever le matin et commencer les activités de la journée. Arrêtez de jouer et commencez à faire vos devoirs. |
Fixer des priorités | Décidez ce qu’il faut faire en premier et hiérarchisez les actions. Par exemple, commencer plusieurs choses à la fois. | |
Organiser | Maintien de l’ordre. Par exemple, difficulté à planifier la manière de résoudre une situation. |
Intervention et rééducation des fonctions exécutives chez les enfants avec et sans TDAH
En ce qui concerne l’intervention et la réhabilitation des fonctions exécutives chez les enfants avec et sans TDAH, Diamond (2011 ; 2012) différencie quatre types d’interventions qui ont montré des résultats prometteurs :
- les entraînements cognitifs,
- les pratiques de pleine conscience visant à réguler l’attention
- les approches curriculaires mettant l’accent sur l’échafaudage cognitif,
- les programmes axés sur les compétences sociales et la régulation émotionnelle.
Entraînement cognitif informatisé
L’entraînement cognitif informatisé a été l’une des interventions les plus largement mises en œuvre pour améliorer les fonctions exécutives et réduire les symptômes d’impulsivité et d’inattention dans le contexte du TDAH (Pauli-Pott et al., 2021 ; Robledo et al., 2023).
Ce type d’intervention cherche à optimiser le fonctionnement cognitif par la pratique d’instructions intentionnelles et distingue deux paradigmes :
- un paradigme basé sur le processus, où l’individu répète l’exécution d’une tâche, et
- un paradigme basé sur la stratégie, où différentes stratégies sont explorées pour réaliser une tâche spécifique (Jolles et Crone, 2012 ; Portellano, 2018).
Certaines revues systématiques et méta-analyses ont compilé des données probantes issues d’études cliniques et d’essais contrôlés dans lesquels un entraînement cognitif assisté par ordinateur a été mis en œuvre pour la stimulation et la réhabilitation des fonctions exécutives dans la population atteinte de TDAH (Sonuga-Barke et al., 2014 ; Alabdulakareem et Jamjoom, 2020 ; Robledo et al., 2023).
Ces études ont montré que l’entraînement cognitif assisté par ordinateur avait des effets sur :
- l’attention et la mémoire ;
- la diminution des symptômes du TDAH chez les enfants et les adolescents (Sonuga-Barke et al., 2014) ;
- des effets positifs sur les fonctions exécutives telles que l’attention, le contrôle inhibiteur et la mémoire de travail (Robledo et al., 2023) ;
- amélioration des résultats scolaires et de la maîtrise de soi des enfants atteints de TDAH ;
- l’augmentation de la satisfaction et de l’adhésion au traitement (Alabdulakareem et Jamjoom, 2020).
Bien que des preuves aient été recueillies à ce jour sur les utilisations et les avantages de l’entraînement cognitif informatisé sur les fonctions exécutives des enfants et les symptômes du TDAH, cela reste un domaine d’étude encore en développement qui est d’une grande pertinence et d’un grand intérêt pour la communauté universitaire, ainsi que pour tous les professionnels en charge des soins et de l’intervention auprès de la population atteinte de TDAH.
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